L’après-midi je vais errer au jardin du Luxembourg et m’asseoir en face du buste de Paul Verlaine. Puis l’envie me prend de revoir le Café du Boulevard St-Michel, à côté de l’Avenue de l’Observatoire, où je l’ai vu l’avant-dernière fois. Le Café n’existe plus, mais je me souviens de l’homme.
Un bohème, ami de Maurice Barrès et de d’Argis de Guillerville, m’avait mené là une après-midi. Verlaine était seul dans le grand Café désert à quatre heures. Appuyé contre la banquette, il était grave, silencieux, olympien et ivre. Assis devant une Absinthe, il avait les mains étendues sur le marbre, le crâne luisant et les cheveux maigres de chauve pauvre. Un foulard, jadis blanc, à demi-défait lui entourait le cou et il regardait de ses yeux de Mongol je ne sais quelle vision sublime ou abjecte qui le fascinait. Il répondit par monosyllabes aux questions banales que je lui posai, puis d’Argis m’entraîna en me diant : « Laissons-le, il ne nous voit plus… ».

Ces lignes, que j’extrais de son précieux Livre-Journal, ont été tracées le 5 septembre 1919 par Ferdinand Bac (1859-1952), homme qui possédait presque tous les talents, dessinateur, écrivain, décorateur, créateur de jardins…, et même la singularité d’être petit-neveu de Napoléon, par le biais d’un fils illégitime du roi Jérôme !
En cette année 1919, ses commensaux ont pour noms Aristide Briand, Philippe Berthelot, la princesse Bibesco, Georges Clemenceau, Maurice Donnay ou l’abbé Mugnier, page après page mentionnés, et il ajoute au récit de ces rencontres, l’évocation du fantôme de Verlaine, mort vingt-trois ans plus tôt, texte qui complète l’admirable photographie, prise par Dornac et visible à Carnavalet, où l’auteur de Jadis et Naguère, attablé au café, n’est déjà plus tout à fait là.

le Livre-Journal 1919 de Ferdinand Bac, édité par Claire Paulhan en 2000, n’est guère facile à dénicher mais les rencontres qu’on y fait sont si étourdissantes qu’il vaut bien cet effort.

Tombeau de Ferdinand Bac, à Compiègne.

Tombeau de Ferdinand Bac, à Compiègne.

Ferdinand Bac repose au cimetière Nord de Compiègne (Oise), vaste et arboré, propice à la méditation, tandis que Paul Verlaine, déplacé en 1989, trône désormais au rond-point du cimetière parisien des Batignolles, sa tombe d’origine s’étant retrouvée sous le viaduc du périphérique qui enjambe la nécropole, conçu sans doute par des ingénieurs insensibles à la poésie.

Paul Verlaine, Batignolles.

Paul Verlaine, Batignolles.

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