Qu’il mourut un 6 septembre, en 1920, gâche un peu le plaisir de ma fête (il n’y a pas si longtemps, mon saint patron était honoré le 16 octobre et le problème n’existait pas ; écouter Jeanne Martin, chanson posthume de Brassens qui dit sur ce sujet mon exact sentiment), ce à quoi on pourrait rétorquer que cela aide à se souvenir de lui mais l’argument ne tient pas puisque je pense à lui (presque) chaque jour.

Lui, c’est Paul-Jean Toulet, parfait poète, dont les Contrerimes ne sont plus à vanter mais qui laissa aussi romans, contes, critiques ainsi qu’une abondante correspondance, adressée parfois à lui-même (Cher Maître, Le silence respectueux de Bruges m’a rappelé trop vivement celui dont je suis saisi en votre présence pour ne pas tenir à vous affirmer une fois de plus l’admiration singulière où me tient votre beau talent. A vous, avec déférence.)
Les habitués de ce site auront remarqué une de ses citations sur la page dite d’accueil, dans la rubrique intitulée « Partage ». Qu’on associe à son haut souvenir celui du poète Jean Dubacq, mort le 5 septembre 2009 (à une journée près…), qui lui consacra le délicieux Une saison en Béarn (Aubéron éditeur).
Il aimait se rebaptiser « Too late » (ainsi distingue-t-on, à l’oral, ceux qui le connaissent vraiment, faisant entendre la consonne finale de son nom, à la béarnaise), déjà plein de passé, toujours nostalgique. Nous sommes quelques-uns, je le sais (certains ont dit combien ils l’admirent tels Jean d’Ormesson ou Charles Dantzig mais beaucoup pratiquent cette ferveur en silence), qui pourrions déposer sur sa tombe, à Guéthary (Pyrénées-Atlantiques), le texte que j’ai rapporté ici il y a peu qui orna longtemps la sépulture de Claude Debussy :
Qu’aurait donc été ma vie sans vous
Où serais-je sans ce coup de foudre
Pour votre chant immense
Qui accompagne mes jours
Les plus denses et les plus doux
Que serais-je sans cette démesure
Qui approfondit, comble, élève
A la fois vertige et prodige
Communion
Et Joie

Et ce n’est, bien sûr, pas un hasard si Toulet et Debussy s’apprécièrent au point d’échanger de nombreuses lettres durant près de vingt ans…

Rien d’étonnant non plus à ce que m’arrive entre les mains, cet après-midi, chez un bouquiniste du XVIIIè arrondissement (j’ai noté, en empruntant l’autobus 60, que la RATP, désireuse d’informer ses passagers du bon déroulement de leur voyage, nommait le ministre de l’Intérieur du Front populaire Max, et non Marx, Dormoy, mais il est vrai que c’est plus euphonique) un volume du poète Edmond Pilon, dont j’avoue ne pas être familier, intitulé Dans le buisson des lettres, Portrait et souvenirs (Albert Messein éditeur, 1934) où le plus long chapitre est consacré à… vous m’avez compris.
Ainsi chanta jusqu’à son dernier souffle, sous la protection tutélaire des deux enfants divins, le Désir et la Mort, ce vivant et pur poète. Lui-même, devant cette mort qui avait tant de fois touché ses amis, s’était recueilli bien souvent.
Puis, rappelant le destin de son cher ami poète Jean-Marc Bernard, mort au front : Quoi de plus touchant, de plus fraternel ? N’est-ce pas en pleurant la mort d’un homme inspiré comme lui que Toulet dressait le fragile bagage de tout ce qui, en une vie de poète, fait pour ainsi dire l’enchantement et la splendeur, et c’est pour avoir été celui qui fut sensible, plus que quiconque, à ces accords et ces correspondances de la nature, que Toulet, dans ses vers, apporta tant de lyrisme, dans ces vers d’une moqueuse et tendre finesse, d’une forme à lui bien personnelle, ces vers enfin par lesquels, autant que par ses romans et par ses contes, son nom vivra.

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